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Riz, Poulet, Patates

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19 mars 2014

La rescapée

 

La rescapée

Mercredi 12 mars, 9 heures. Alors que nous attendons patiemment que le soleil gagne enfin la place du village, assis sur le banc qui repose contre la devanture du restaurant de Jorge (où nous sommes cantinés), et que nous parlons justement d’Augustin, ce dernier sort du local du Parc Naturel - où il est volontaire -, à quelques pas de nous.

« Ça vous dit de venir ? Il y a une vache à sauver ! ». Qu’a-t-on de mieux à faire ?

On grimpe dans la benne du camion de la Comunidad Campesina, qui après avoir enfumé toute la place, parvient enfin à démarrer. A nos côtés, en plus d’Augustin, Raul,  gardien de la réserve, Eustaquio, en combinaison de mineur et tronçonneuse aux pieds, et quelques autres gars du village, casquettes, bonnets ou passe-montagnes vissés sur le crâne. Quelques motards nous emboîtent le pas. La vache mobilise.

On descend le long du déchaîné rio Alis, jusqu’à Tinco, 5 km plus bas, quelques renforts grimpent nous rejoindre, puis l’on s’enfonce dans la vallée du non moins déchaîné rio Cañete. On y est presque…

Le camion s’arrête, nous y voilà. Sur la rive qui nous fait face, sur une minuscule portion de terre où la notion de gravité semble avoir un peu de sens, encerclée par des parois rocheuses impraticables, la vache à sauver regarde impassiblement tout ce petit monde réuni pour elle. D’après l’hypothèse la plus vraisemblable, elle serait tombée d’un ponton, une cinquantaine de mètres en amont, et aurait réussi à s’extirper du courant à notre hauteur. Elle est là depuis quatre jours.

Début de l’opération sauvetage. Très vite, les esprits s’accordent : il faut couper un eucalyptus, celui-là, le plus grand, faire en sorte qu’il tombe en travers du torrent, et que sa cime vienne reposer sur l’autre rive. Première difficulté, donc. Il faut grimper à cet arbre sans branche pour accrocher la corde, qui permettra de diriger sa chute.

Le plus jeune s’y colle. Il essaie une fois, glisse, une deuxième fois, re-glisse, et pendant ce temps, la cohésion s’effrite, on imagine d’autres solutions. Mais le grimpeur s’obstine, et en prenant appui sur les eucalyptus voisins, parvient à se hisser enfin, à quelques mètres, et puis plus haut, et puis encore plus haut, jusqu’à nous crisper, nous d’en bas, de peur qu’il glisse à nouveau. Mais on est bien les seuls à avoir des craintes. Les autres sont satisfaits, l’affaire avance enfin. On lui lance la corde, qu’il attache solidement, avant de s’en aider pour descendre de son long. Le mineur à la tronçonneuse peut entrer en scène. Une première entaille, puis il attaque l’arbre par derrière. On tire fermement sur la corde, l’eucalyptus commence à plier, il va bientôt céder. Dans un énorme fracas, il s’écrase enfin en travers du cours d’eau. Quelques petits réajustements, et l’affaire est jouée. Une deuxième corde équipée d’un crochet est envoyée au loin, elle fera office de garde-corps. Fin de la première étape. Il faut maintenant traverser.

Un premier volontaire se propose ; en fait, il est prêt depuis longtemps. Short et vieilles baskets aux pieds, il ne lui reste plus qu’à enfiler le harnais. Long temps de flottement, personne ne sait dans quel sens ça se met. Et puis l’homme se lance. A califourchon sur le tronc, il avance de quelques centimètres, semble peu sûr de lui, avance encore un peu, hésite en testant la corde d’appui, se retourne vers l’assemblée qui l’observe, progresse de quelques centimètres encore, puis, le regard de plus en plus défait, rebrousse chemin en grognant. Personne n’ose encore se moquer de lui. Deuxième volontaire, celui qui a grimpé à l’arbre. Il regarde à peine le harnais qu’on lui tend, le refuse d’un franc geste de la main, et s’élance, sûr de lui, debout sur le tronc allongé. Quelques secondes plus tard, il est de l’autre côté de la rive. Deux autres téméraires le suivront, rassurés par la facilité avec laquelle il a franchi le torrent. Celui qui a rebroussé chemin peut cette fois recevoir les moqueries jusqu’alors contenues.

C’est à ce moment que le président de la Comunidad Campesina revient de Tinco avec quelques ravitaillements : de l’Inca Kola, et des brioches. Tout le monde est servi, puis le dernier à traverser charge son sac à dos d’une deuxième bouteille, et d’une machette. C’est de l’autre côté du torrent que va se jouer la troisième étape. Encercler la vache, l’attacher solidement, l’amener jusqu’au bord du rio, nous envoyer l’autre bout de la corde. Mais avant cela, défricher pour lui faciliter l’accès au fleuve, en aval de l’eucalyptus, où il semble y avoir moins de courant. De notre côté, on soulève quelques pierres, pour que la vache puisse remonter sans trop de peine sur la route. Puis l’on prépare la corde, qui prendra appui sur un arbre. L’équipe d’en face en bave, le temps passe, mais ça y est, la vache est enfin attachée. Encore quelques difficultés pour la tirer jusqu’à l’endroit choisi, et puis d’un coup, il faut tirer, nous, en face, nous sommes une dizaine d’hommes à nous acharner sur cette corde, la vache entre dans l’eau, son poids triplé par le courant nous déchire les mains, mais on tire tous ensemble et en quelques secondes seulement, la vache bondit agilement sur la terre ferme, cette fois du bon côté de la rive.

Trois bonnes heures, une vingtaine d’hommes mobilisés, mais la vache est sauvée, et c’est tout ce qui importe. Les quatre cowboys mettront encore un peu de temps à revenir à nous, à cause d’incompréhensions quant à la façon de récupérer toutes les cordes sans pour autant dé-sécuriser le pont de fortune – le bruit du torrent brouillant la communication. La vache sera ramenée à son étable, avant un déjeuner bien mérité tous ensemble à Tinco, offert par la Comunidad. Du riz, des patates, et de la vache. 

 

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